« Créer une image de soi dans le Machrek arabe », de Leila Rezk, un maître-ouvrage

Par Fady NOUN | 06/11/2010

Leila Rezk signant son ouvrage au Salon du livre.    Photo Michel Sayegh
Leila Rezk signant son ouvrage au Salon du livre.
Le processus d’individuation comme marque caractéristique de la modernité fait l’objet d’un maître ouvrage de Leila Rezk, Créer une image de soi dans le Machrek arabe, un parcours semé d’embûches *, que propose le stand de l’Université Saint-Joseph, au Salon du livre, et qui sera très prochainement disponible en librairie. L’une des grandes gageures que relève l’essai, c’est de proposer une approche objective d’un processus subjectif, dans un continuel va-et-vient entre les causes et leurs effets.
L’accession de l’homme et de la femme du Machrek arabe à leur propre subjectivité, à leur identité, constate Leila Rezk, qui est maître de conférence associée à l’Université Jean-Moulin de Lyon, mais que beaucoup connaissent comme directeur de cabinet du ministre de la Culture, Ghassan Salamé.
À l’origine de ce « malaise », il y a d’abord l’histoire : les relations houleuses entretenues entre l’Orient et l’Occident. L’histoire du Machrek arabe au XXe siècle doit en effet nécessairement tenir compte de ces deux grands traumatismes que sont la Première Guerre mondiale (1914-1918) et la création de l’État d’Israël (1948). Le premier a entraîné le démembrement de l’Empire ottoman, un processus révélateur d’aspirations contradictoires et générateur de conflits, qui a livré tout un sous-continent à la fièvre nationaliste, avec des phases anticolonialistes qui ont déteint sur l’assimilation culturelle des apports positifs des Lumières, et le second figé dans un militarisme utopique d’une possible démocratisation de plusieurs sociétés dont il a épuisé les ressources économiques.
Rezk attribue la confusion identitaire des peuples et individus du Machrek arabe à « la structure même des États » issus du démembrement de l’Empire ottoman, dont l’action a contrecarré le développement des pays et le rapport de leurs peuples au monde. Elle livre, dans son ouvrage, des analyses sans complaisance des portraits historiques, politiques et idéologiques des différents États du Machrek.
« Le démantèlement de l’Empire ottoman et la lutte contre les oppresseurs européens ont favorisé une effervescence d’idées et accéléré la naissance de deux projets aux antipodes l’un de l’autre, écrit Rezk. D’une part, un nationalisme arabe, inspiré de la pensée séculière des chrétiens (…), et de l’autre, la pensée salafiste fondée sur l’instrumentalisation de la religion pour la mobilisation contre le colonialisme ». Il n’est pas difficile de voir combien les termes de cette distinction sont actuels.
« Le démantèlement de l’Empire ottoman par les mandataires français et anglais s’est révélé problématique, car décidé indépendamment des aspirations des populations locales », affirme aussi, en toute objectivité, l’auteur. Une proposition qu’on pourrait nuancer, puisque ce sont les aspirations qui se sont exprimées à l’époque, qui étaient contradictoires, et que ces contradictions, d’évidence, n’ont pu être toutes résolues.
En parlant de l’État, Rezk cible principalement l’État nation à l’occidentale, un modèle qui n’a pas « pris » au Machrek, mais est resté « une construction précaire (…) qui a engendré des identités confuses » et a rendu le dialogue difficile.
L’ouvrage met en cause l’incapacité de sociétés placées devant le modèle exogène de la « modernité » d’aménager un espace à la liberté. Une liberté qui, lorsqu’elle veut s’affirmer, est contrainte de passer nécessairement par la transgression du discours dominant, notamment religieux, et le refus des idéologies.
Un dialogue problématique
Les entraves posées à l’émergence de « l’individu/citoyen » sont telles, constate Rezk, que l’image de l’Autre est brouillée, rendant problématique le dialogue avec lui.
Du reste, cet Autre identifié à l’Occident de la modernité sait-il lui-même qui il est ?
L’émergence d’une identité stable, dans un monde en plein métissage culturel, n’est-il pas chose aléatoire ? On l’a vu tout récemment en France avec le débat sur l’identité lancé par Nicolas Sarkozy.
Tout se passe, en fait, en Occident comme si le débat culturel et la réception sélective de la modernité qui se sont posés dans le Machrek arabe, au Liban et ailleurs, s’étaient transposés en France et en Europe en raison de l’immigration musulmane. Là, comme dans le Machrek arabe, le « choc culturel » de deux anthropologies différentes, l’une chrétienne, même si ses racines sont niées, l’autre musulmane, rend le dialogue difficile. Au point qu’en France, il a fallu inventer le concept de « laïcité positive » pour sortir du laïcisme et réamorcer le dialogue.
Pour en revenir à l’ouvrage de Leila Rezk, dans un chapitre final, l’auteur parvient, à travers l’analyse de certaines évolutions, à déceler des parcours de libertés chez des hommes et des femmes qui parviennent, notamment dans les domaines intellectuel et artistique, à se libérer du carcan des idéologies et, pour les femmes en particulier, à surmonter les discriminations dont le rôle de la femme dans la société est l’objet et qu’elle considère comme « le marqueur les plus obscur de l’imaginaire identitaire des Arabes ».
(*) Presses de l’Université Saint-Joseph, disponible en librairie et en ligne : composer PUSJ.
Source: L’Orient Le Jour
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